Vous décrivez un contexte sans
fixer de date.
Non. On peut prévoir les événements sans avoir la
prétention de les situer dans un calendrier.
Pouvez-vous nous donner plus
d'éléments sur la conjoncture régionale et internationale que vous avez mentionnée?
Quand j'ai annoncé que mon retour était proche, le président George Bush n'avait
pas encore prononcé son discours sur la solution du problème palestinien. Après ce
discours, les événements vont s'accélérer. On pourra assister peut-être à
l'édification d'un Etat palestinien mais aussi à la fin de l'occupation du Liban.
Pouvez-vous détailler un peu plus
votre propos?
Je ne veux pas être plus clair que cela. Même si notre
lecture des événements peut s'avérer exacte, il n'est pas de notre droit d'en parler
comme si on était en position de décideur pour les affaires du monde.
Certains Libanais craignent que
cette nouvelle donne ne précipite le pays à nouveau dans la guerre civile.
Je ne vois pas pourquoi. La guerre n'est pas terminée. Elle
continue depuis que j'ai quitté le Liban en 1991. La guerre continue au Sud. Le processus
de paix n'a pas abouti. Les attaques et les représailles les plus meurtrières ont eu
lieu durant la décennie 1990 après mon départ. Le Liban souffre du décalage qu'il y a
entre la politique internationale et sa politique à lui, qui est une politique de guerre
contre Israël. Il ne jouit pas de l'aide internationale et l'ambiance qui y règne
n'inspire pas la confiance pour attirer les investissements. Les gouvernements mènent une
politique de guerre et ils annoncent une économie de paix. Cette contradiction a conduit
à la faillite actuelle. Le pays est en guerre et nous essayons de le sauver. Ceux qui
prétendent que mon retour provoquera la guerre tirent profit de la situation actuelle.
Ils n'ont plus leur place au Liban.
Walid Joumblatt a récemment
déclaré que des «vents californiens», en référence au dernier congrès maronite qui
s'est tenu en Californie, soufflaient sur le Liban...
Je ne commente pas les propos de M. Joumblatt car ses prises
de position sont incessamment contradictoires. Il faut toujours attendre le dernier moment
pour savoir ce qu'il pense vraiment.
Il a estimé aussi que
l'opposition chrétienne comportait des modérés et des radicaux, vous classant parmi ces
derniers...
Il est vrai que des fois, les situations ne sont ni
blanches, ni noires, mais ces deux couleurs existent. Pour lui, il n'y a pas de noir, ni
de blanc. En ce qui concerne les constantes d'un pays indépendant, je suis intraitable,
ce qui ne signifie pas, par ailleurs, que je suis un extrémiste. Pour plaire aux Syriens,
certains, dont Walid Joumblatt, ont inventé le concept de «souveraineté partagée».
Assez d'hérésie!
Il a déclaré que tout dialogue
avec vous et votre courant devrait intervenir sous le plafond de Taëf...
Cela n'a pas de sens. Quel est le plafond de Taëf? Est-ce
qu'il serait capable de m'indiquer quel est ce plafond? Ce terme, le plafond de Taëf, est
un faux fuyant, un concept abstrait. Qu'il définisse concrètement ce qu'il entend par ce
terme et ensuite nous pourrons discuter.
Et à votre avis, quel est le
plafond de Taëf?
Cela n'a pas de sens. Il y a des éléments positifs qu'il
faut préserver et d'autres, négatifs, qu'il faut éliminer. Pour cela, un dialogue est
nécessaire, mais sans a priori ni préjugés. Tenter de m'imposer ses convictions, comme
il le fait, suppose qu'il y ait un vainqueur et un vaincu. Il n'est pas vainqueur et je ne
suis pas vaincu.
Votre courant politique a joué un
rôle important dans les élections du Metn organisées par le régime politique issu de
Taëf. N'est-ce pas une reconnaissance implicite de la légitimité de ce régime?
Non, c'est plutôt un défi. Les moyens de la résistance
vont du fusil, en passant par les manifestations, jusqu'au vote. C'est une prise de
position pacifique, par les voix, pour un candidat... une forme de résistance. Dans la
première phase, nous avons boycotté les élections pour signifier que nous refusons la
tutelle syrienne. Aujourd'hui, nous participons pour démontrer notre poids sur le
terrain. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'à mes yeux, la légitimité du pouvoir ne
peut pas venir d'une armée syrienne, qui a envahi le dernier réduit libre du Liban, à
Baabda. Elle ne peut venir que d'une entente nationale qui serait confirmée par des
élections. Pour être sûr que ces élections sont libres, il faut accepter une
supervision inte rnationale de celles-ci.
C'est-à-dire des observateurs
internationaux?
Des observateurs internationaux venant de pays
démocratiques comme la France, les Etats-Unis, etc.
Ce ne serait pas un premier pas
vers une sorte d'internationalisation?
Nous ne devons pas en avoir peur. Nous sommes tous
cosignataires de deux chartes. La charte des Nations et la charte des droits de l'homme.
Tous les pays du monde ont le droit d'avoir un regard sur des événements dans un autre
pays, relatif à ces deux chartes. C'est un droit. Il s'agit moins d'une
internationalisation que d'une application du droit international.
Quelles sont vos priorités
politiques aujourd'hui?
Elles sont d'abord centrées autour de la situation
économique. La situation politique, comme je l'ai déjà souligné, commence à changer.
M. Hariri, et avec lui tout le régime, ont fait des choix de guerre tout en optant pour
une économie de paix. Depuis 1994, tout le monde sait que le Liban a rompu avec les
négociations de paix à Washington et que la Résistance au Sud a multiplié ses attaques
provoquant des représailles israéliennes contre les infrastructures du pays. Le choix
économique du pouvoir a été celui de la paix... Des investissements colossaux n'ont
servi à rien... Ne parlons pas de la corruption dans les administrations publiques et les
détournements de fonds. Quant à la politique d'endettement, elle a littéralement ruiné
le pays. Avec 30 milliards de dollars de dette, chaque Libanais a une dette de 12000
dollars, ce qui est très grave... Ils essayent à nouveau d'empr unter de l'argent et
donc d'augmenter les dettes au lieu de s'employer à les réduire. Si (le président
Emile) Lahoud est d'accord avec la politique de Hariri, il est autant responsable de la
ruine du Liban. Dans l'accord ou le désaccord, ceux qui sont aux postes de décision
doivent être tenus responsables des résultats de leurs actions.
Cette critique virulente que vous
faites de la politique économique du Premier ministre confirmerait les informations selon
lesquelles l'un de vos objectifs prioritaires serait la chute de ce gouvernement...
Mon objectif ne se réduit pas à la chute du gouvernement
Hariri, il va bien au-delà... Pour redresser la situation du Liban, il faut mener une
nouvelle politique avec de nouveaux dirigeants aux commandes.
Quelles seraient les grandes
lignes de cette nouvelle politique?
Vous savez qu'une politique économique est nécessairement
globale. Elle devra comporter un changement du système fiscal, une transparence des
privatisations, une justice indépendante qui garantisse les droits des investisseurs,
etc. Il y a une multitude d'obstacles au redressement économique qu'il faudra lever. Il
est nécessaire de redynamiser le secteur privé, mais tant que les taux d'intérêt
seront aussi élevés, personne ne viendra investir au Liban... Par ailleurs, la
transformation du pays en un marché syrien et la concurrence déloyale à laquelle se
livre la Syrie aggravent la situation.
Sur un plan plus général, ce que
vous reprochez au gouvernement, c'est d'avoir opté pour ce que vous appelez «la
politique de guerre»...
Leur politique actuelle est opposée à la politique
internationale.
Vous serez donc pour un changement
de politique...
Oui, qu'ils soient en phase avec la politique
internationale.
Cela consisterait en quoi exactement?
Qu'ils fassent un véritable pari de la paix. Une fois que le Liban a libéré ses
territoires, il faut qu'il ait une politique de sécurité, qu'il contrôle son
territoire. Tout le monde va à la paix sauf le Liban. Depuis 1968, notre frontière avec
Israël est embrasée. Tous les autres pays arabes ont des frontières très calmes.
Est-ce que le pari de la paix vous
paraît réaliste avec un gouvernement comme celui d'Ariel Sharon en Israël?
Vous traitez le problème à son point actuel. L'arrivée
d'Ariel Sharon au pouvoir n'a été qu'un résultat d'un échec, celui d'Ehud Barak. Il a
retiré ses troupes du Liban, il a offert une solution aux Palestiniens, qu'ils acceptent
maintenant d'ailleurs. Pourquoi accepter maintenant ce qu'on a refusé hier et puis
regretter demain ce qu'on nous offre aujourd'hui? Je me suis toujours clairement exprimé
à ce sujet. Il faut des limites. On ne peut pas prétendre faire disparaître Israël de
la carte comme certains le disent. Il faut accepter que les Israéliens vivent au
Moyen-Orient. Cette remise en cause permanente de l'existence d'Israël a amené Sharon au
pouvoir. Il en est une conséquence. Les Arabes ne font pas d'autocritique...
Vous pensez donc que l'enjeu actuel du
conflit dans les territoires palestiniens c'est l'existence d'Israël et non la création
d'un Etat palestinien indépendant...
Il y a eu un moment de l'histoire où le président Clinton a fait une offre, et à la
surprise générale, beaucoup d'Israéliens, malgré leurs craintes, ont fait le pari de
l'accepter. Elle a été refusée par les pays arabes, ou du moins, ils n'ont pas
encouragé Yasser Arafat à l'accepter. Ils ont préféré le pari de l'intifada avec ses
conséquences connues. Pour juger d'un processus qui dure depuis 1948, il faut partir
d'une vue globale et non d'un moment particulier. Du moment que des négociations de paix
ont commencé, aucune des parties qui y participent ne pourra obtenir satisfaction de ses
demandes maximales. Des concessions s'imposent toujours. Il ne faut pas se braquer sur les
10% de revendications non satisfaites et oublier le reste. C'est ce qui est a rrivé avec
les Palestiniens. Ils voulaient les derniers 10%.
Revenons à la situation
libanaise. La bataille que vous avez menée au Metn, aux côtés des membres de Kornet
Chehwan, s'est soldée par un succès. Pourquoi, par pur pragmatisme, ne rejoignez-vous
pas Kornet Chehwan?
Kornet Chehwan n'est pas une formation politique mais
plutôt une rencontre. Lorsque je les rencontre, nous échangeons nos vues et nos
analyses. Nos relations sont très bonnes et nous nous entendons sur l'essentiel.
Les dernières rencontres que vous
avez eues avec Nassib Lahoud, Farès Saïd et Mansour el-Bone sont-elles un prélude à la
naissance d'une alliance qui vous regroupera?
Les choses pourraient évoluer dans ce sens. Mais nous ne
sommes pas encore à ce stade. Vous savez que la nature de mon action politique est
différente des leurs. Moi je travaille dans le cadre du courant patriotique libre qui est
un mouvement populaire.
Le fait de vouloir faire porter à
la Syrie la responsabilité principale de l'ensemble des problèmes du Liban n'est-il pas
une manière d'éluder le débat sur les raisons internes de ces problèmes, à savoir, la
nature du système politique libanais et les grandes orientations économiques du pays
depuis l'Indépendance?
Malgré tout ce qu'on peut dire sur la situation, un seul
choix est imposé au Liban: c'est le choix syrien. Ce n'est pas la conjoncture intérieure
qui provoque la débâcle actuelle mais plutôt le choix syrien. Les accords de Taëf ont
d'ailleurs été «taillés sur mesure» pour la Syrie. Du point de vue de ses dirigeants,
la Syrie est au Liban pour rester.
Mais les problèmes intérieurs du
Liban n'ont pas commencé avec l'entrée des troupes syriennes en 1976...
Aucun pays ne vit sans problème. Mais si une puissance
voisine déploie tous ses moyens pour déstabiliser un pays, elle peut le faire. Prenons
la France comme exemple. C'est un pays démocratique depuis plus de deux siècles qui
jouit d'une grande stabilité. Si quelqu'un venait à donner des milliards de dollars aux
indépendantistes corses, vous ne croyez pas qu'ils arriveraient à déstabiliser la
France. Avec un demi-million de Palestiniens arrivés après 1948, plus les millions de
pétrodollars qui ont été injectés dans le pays, les milliers de tonnes de munitions
qui y ont été acheminées, via la Syrie, il était évident qu'on allait basculer dans
la guerre. Tous les pays ont des problèmes, ils peuvent en discuter. Le Liban n'était
pas le dernier parmi les Etats arabes sur le plan économique à la fin des années 60.
Nous étions sur le point de franchir le seuil des pays sous-développés pour faire
partie du premier monde. Aujourd'hui, nous faisons partie du «cinquième» monde,
économiquement parlant...
Selon vous, quelle est la position
de la France par rapport à la situation au Liban?
Actuellement, il y a une politique américaine dominante. La
France essaye de tempérer cette politique mais je ne sais pas si elle pourra rester sur
cette position. Selon le président Bush, les pays du monde doivent choisir leur camp.
Celui des Etats-Unis ou celui du terrorisme, reste à définir le terrorisme.
Quelle est la définition qui vous
semble la plus appropriée?
Ce n'est pas ma définition qui va prévaloir en fin de
compte. C'est la définition américaine qui dominera. L'Amérique va imposer sa politique
et ses définitions. En septembre 2001, j'ai écrit un article (voir encadré p. 11)
où je le prévoyais très clairement. Les Etats-Unis sont la seule superpuissance
mondiale, et c'est pourquoi il est absolument nécessaire de les convaincre de la justesse
de nos positions. Peu importe aujourd'hui si nous avons raison ou tort; ce qui est
important, c'est que les Etats-Unis croient que nous avons raison.
Le général Michel Aoun a décidé de porter plainte
contre l'ancien président de la République Elias Hraoui, parce qu'il s'est estimé
diffamé par certains passages du livre écrit par le premier. «Il ne cesse de dire que
j'ai dérobé 75 millions de dollars au Trésor public. C'est un pur mensonge calomnieux.
J'ai considéré au départ qu'ils avaient le droit de me soupçonner et de faire une
enquête. Mais m'accuser sans preuves est de la diffamation pure. Cela fait douze ans
qu'on m'accuse sans preuves. Je crois que l'âge commence à jouer des tours à la
mémoire de Hraoui. Il cherche à se refaire une virginité en m'attaquant.»
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